Accéder au contenu principal

Les nombreuses indications médicales des éclaircissements dentaires


Message n°23:


J’ai l’habitude de dire au début de mes conférences sur l’éclaircissement dentaire que l’obstacle principal au développement de cette thérapeutique en France est … le dentiste ! Les patients sont pourtant demandeurs (1) (2) de plus de « blancheur », mais il semble que le praticien ne leur propose pas un éclaircissement, voire les décourage.

Pourtant l’éclaircissement ambulatoire externe (3), prescrit par un dentiste, est une thérapeutique parfaitement sécure (4) et de mieux en mieux documentée sur le plan scientifique (5)(6).  La connaissance des mécanismes de l’éclaircissement s’est considérablement accrue ces dernières années (7). A l’ère de la dentisterie qui devient de plus en plus biologique, elle représente, dans le gradient thérapeutique imaginé par mon ami le Dr Gil Tirlet (8), la technique la moins invasive que les dentistes ont à leur disposition.

Alors comment expliquer cette situation paradoxale ?

 Tout d’abord une quasi absence d’enseignement à l’Université de cette thérapeutique, probablement considérée comme une technique pas assez médicale (j’en dirai 2 mots en conclusion). Ensuite une méconnaissance des 3 grandes familles d’indications des éclaircissements, qui font l’objet de ce message.  Par ailleurs, circulent de trop nombreuses « fausses contre-indications » que je décrirai dans un futur message.

Commençons donc par les 3 familles d’indications (9):

1) Les indications « physiologiques » sont liées aux colorations intrinsèques et extrinsèques qui apparaissent tout au long de la vie de la dent.  En effet les dents changent de couleur avec l’âge en devenant plus jaune, parfois même plus rouge mais dans tous les cas moins lumineuses (10)
Les colorations extrinsèques sont liées aux colorations alimentaires le plus souvent mais aussi le tabac et à certains bains de bouches (à la chlorhexidine par exemple). Ce sont des protéines colorées qui s’adsorbent sur le biofilm qui se forme à la surface des dents. Puis au cours du temps, en fonction de la porosité des dents, de la présence éventuelle de fissures, ces protéines colorées pénètrent à travers l’émail.
Les colorations intrinsèques physiologiques sont liées à la production continue de dentine, de couleur jaune, tout au long de la vie de la dent pulpée. De plus, au cours du temps, l’émail translucide a tendance à s’amincir (sous l’action combinée de l’usure mécanique et chimique), laissant ainsi transparaître davantage la dentine de couleur jaune.

Avec le temps, les dents se voient moins dans le sourire,  ce qui contribue à son vieillissement. Parfois, les dents donnent l’impression d’être sales (alors même que le patient se brosse parfaitement bien les dents) !  Au total dans l’inconscient collectif, les dents blanches sont synonymes de jeunesse, de bonne santé et de propreté. D’ailleurs les études montrent bien une forte association entre attractivité du sourire et luminosité (11) ainsi qu’un impact psycho-social positif pour les patients après un éclaircissement (12). Notons encore que dans cette famille d’indication, l’association éclaircissement /orthodontie de l’adulte permet d’obtenir avec une préservation tissulaire maximale des résultats esthétiques remarquables (13).

2) Les indications « pathologiques »  sont liées à des colorations pathologiques pré-éruptives ou post-éruptive (MIH, fluorose, amélogénèse ou dentinogénèse imparfaite, prise de tétracyclines, nécrose ou calcification suite à des traumas…).  Dans ce type d’indication le dentiste joue bien son rôle de professionnel de santé. Les services rendus sont considérables pour des patients, souvent jeunes, et en grand handicap. Un patient avec une fluorose sévère, ou avec des colorations sévères liées aux tétracyclines, peut voir son handicap grandement diminué par un simple éclaircissement ultraconservateur. Dans ce cas la durée de l’éclaircissement est plus longue, souvent plusieurs mois (14). Idem dans le cas des éclaircissements internes sur dent dépulpée dont la procédure opératoire vient récemment de changer en raison de l’interdiction de l’utilisation du perborate de sodium (15). Et même si certains cas les plus sévères relèvent de la prothèse, on commencera toujours par un éclaircissement afin de minimiser l’invasivité des prothèses.

3) Les indications dans le cadre d’un plan de traitement restaurateur.
Lorsqu’une dent doit être restaurée, on peut légitimement se poser la question de savoir si on ne doit pas éclaircir les dents adjacentes avant. En effet les matériaux de restaurations étant insensibles à l’action des produits d’éclaircissement, si le patient souhaite un éclaircissement secondairement, il faudra refaire la restauration. Le patient doit en être informé, et à lui de décider en fonction des contraintes du traitement.  Ainsi l’éclaircissement trouve naturellement sa place dans un traitement médical global.
Notons que la situation inverse arrive aussi. Des demandes fréquentes de remplacement de restaurations concernent des anciennes prothèses qui n’ont pas changé de couleur alors que les dents adjacentes ont vieilli. En effet une décade suffit pour une modification significative de la couleur des dents naturelles (16). Plutôt que de refaire la prothèse lorsqu’elle ne présente aucun autre critère de remplacement, ce qui est le réflexe le plus courant, pourquoi ne pas simplement éclaircir les autres dents ?

Au total, même si le caractère médical des 3 familles d’indication ne semble pas se situer au même niveau (éclaircir ses dents à 50 ans pour avoir un joli sourire peut sembler « moins médical » que rendre le sourire à un patient atteint d’une fluorose sévère), toutes les indications présentées contribuent à la santé de nos patients si on se réfère à la définition de la santé de l’OMS : «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité» (17). C’est probablement pour cette raison que l’AP-HP a accepté la création depuis 2 ans d’une consultation de traitement des dyschromies par éclaircissement à l’hôpital Charles Foix (18) à Ivry/Seine. Un bilan après 2 ans de fonctionnement sera présenté lors de la première journée des entretiens de Garancière le 18 septembre 2019 (19).



1.      Silva FB da, Chisini LA, Demarco FF, Horta BL, Correa MB. Desire for tooth bleaching and treatment performed in Brazilian adults: findings from a birth cohort. Braz Oral Res [Internet]. 2018 Mar 8 [cited 2018 Aug 10];32(0). Available from: http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S1806-83242018000100212&lng=en&tlng=en
2.      Al-Zarea BK. Satisfaction with appearance and the desired treatment to improve aesthetics. Int J Dent. 2013;2013:912368.
3.      Haywood VB, Heymann HO. Nightguard vital bleaching. Quintessence Int Berl Ger 1985. 1989 Mar;20(3):173–6.
4.      Li Y, Greenwall L. Safety issues of tooth whitening using peroxide-based materials. Br Dent J. 2013 Jul;215(1):29–34.
5.      Luque-Martinez I, Reis A, Schroeder M, Muñoz MA, Loguercio AD, Masterson D, et al. Comparison of efficacy of tray-delivered carbamide and hydrogen peroxide for at-home bleaching: a systematic review and meta-analysis. Clin Oral Investig. 2016 Sep;20(7):1419–33.
6.      Loguercio AD, Maran BM, Hanzen TA, Paula AM de, PerdigãO J, Reis A. Randomized clinical trials of dental bleaching – Compliance with the CONSORT Statement: a systematic review. Braz Oral Res [Internet]. 2017 Aug 28 [cited 2018 Aug 9];31(suppl 1). Available from: http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S1806-83242017000500205&lng=en&tlng=en
7.      Gabet A, Dursun E, Greenwall L, Attal J-P. La couleur de la dent naturelle et la couleur de la dent éclaircie. BMC. 2017 Oct;2(2):56–65.
8.      Tirlet G, Attal J-P. Le gradient thérapeutique: un concept médical pour les traitements esthétiques. Inf Dent. 2009;(41/42):2561–8.
9.      Attal JP, Duclot-Gabet A. Les 3 grandes familles d’indication des éclaircissement dentaires. A paraître BMC. 2019.
10.    Gómez-Polo C, Montero J, Gómez-Polo M, de Parga JAMV, Celemin-Viñuela A. Natural Tooth Color Estimation Based on Age and Gender. J Prosthodont Off J Am Coll Prosthodont. 2017 Feb;26(2):107–14.
11.    Montero J, Gómez-Polo C, Santos JA, Portillo M, Lorenzo MC, Albaladejo A. Contributions of dental colour to the physical attractiveness stereotype. J Oral Rehabil. 2014 Oct;41(10):768–82.
12.    Angel P, Bersezio C, Estay J, Werner A, Retamal H, Araya C, et al. Color stability, psychosocial impact, and effect on self-perception of esthetics of tooth whitening using low-concentration (6%) hydrogen peroxide. Quintessence Int Berl Ger 1985. 2018;49(7):557–66.
13.    Consolaro A, Consolaro RB, Francischone L. Clarifications, guidelines and questions about the dental bleaching “associated” with orthodontic treatment. Dent Press J Orthod. 2013 Oct;18(5):4–10.
14.    Botelho MG, Chan AWK, Newsome PRH, McGrath CP, Lam WYH. A randomized controlled trial of home bleaching of tetracycline-stained teeth. J Dent. 2017 Dec;67:29–35.
15.    François P, Bonte E, Attal J-P. L’éclaircissement interne de la dent dépulpée dyschromiée : quel substitut au perborate de sodium ? BMC. 2018;3(2):50–7.
16.    Hassel AJ, Johanning M, Grill S, Schröder J, Wahl H-W, Corcodel N, et al. Changes of tooth color in middle and old age: A longitudinal study over a decade. J Esthet Restor Dent Off Publ Am Acad Esthet Dent Al. 2017 Nov 12;29(6):459–63.
17.    Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin -22 juillet 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948.
18.    Duclot-Gabet A. Etude approfondie des mécanismes de l’éclaircissement ambulatoire externe et création de la consultation de traitement des dyschromies de l’hôpital Charles Foix. Alpha Omega News [Internet]. 2017; Available from: https://www.aonews-lemag.fr/prix-jacques-breillat-2017-astrid-gabet-ao-20/
19.    Gnanguenon K, Aïssi T, Mahdhaoui K, Regin M, Poline J, Szerbojm S, et al. L’éclaircissement dentaire, une thérapeutique médicale incontournable en cabinet libéral et à l’hôpital. In les Entretiens de Garancière, Paris 2019.

Posts les plus consultés de ce blog

 Comment coller efficacement   sur les dents atteintes de MIH ? Message n°22 : La prévalence des MIH (hypominéralisation Molaire Incisive) est très forte, et ce, partout dans le monde. Une récente revue systématique et méta-analyse sur 99 études incluant plus de 100 000 participants sur 43 pays différents donne une valeur moyenne de 13% (1)  ! Une étude similaire, l’an dernier, donnait, sur 70 études, une prévalence de 14% (2) . Les conséquences de ces MIH sur les tissus dentaires (3) et sur la qualité de vie des patients (4) sont connues. Le praticien doit donc connaître les différentes modalités de traitement possible (5) . Parmi celles-ci, le collage aux tissus atteints pour protéger, améliorer l’esthétique ou restaurer, est souvent incontournable.   Mais le collage sur ces tissus est reconnu comme étant moins performant (6) . Nous attendions un article de référence sur le collage aux tissus hypominéralisés dans le cas des dents atteintes de MIH. Il vient d’êtr

Simplification de la technique d'érosion/infiltration pour le traitement des taches de l'émail

Message n°24:                      En Août 2015, alors qu’on avait déjà avec mon ami le Dr Gil Tirlet plus de 5 ans d’expérience sur la technique d'érosion/infiltration, je proposais (lire message n°20 de ce blog) un algorithme de traitement des taches de l’émail qui illustrait le protocole détaillé du traitement de ces taches quelque soit leur étiologie  (1) . Cet algorithme remplaçait avantageusement les instructions du fabricant inadaptées. Quatre années plus tard, il m’a semblé nécessaire de faire un point sur ce sujet, en proposant 2 simplifications de la procédure et quelques modification à l'algorithme. 1)      La simplification liée à l’utilisation du bistouri Pour infiltrer les taches, blanches ou colorées, il faut, bien sur, au moins avoir atteint la lésion hypominéralisée qui le plus souvent est profonde (exemple : dans le cas des MIH). Jusqu’à présent on réalisait des cycles HCl/Alcool/Sablage ou fraisage jusqu’à obtenir une

Message n°21 : Une proposition pour éviter les sensibilités pendant l'éclaircissement dentaire

Eclaircissement dentaire : Proposition pour un temps personnalisé de port des gouttières Je suis surpris que les praticiens français réalisent si peu d’éclaircissements dentaires sur leurs patients. Pourtant la technique d’éclaircissement ambulatoire avec port nocturne des gouttières proposée par Haywood (1) est très largement documentée et reconnue par la communauté internationale comme étant fiable et sécure (2) . Il y a bien entendu la demande forte et bien documentée de nos patients pour les « dents plus blanches » (3) qui justifierait à elle seule de nombreux traitements. Mais sur un plan plus médical, il est difficile de se passer d’éclaircissement avant la réalisation de soins conservateurs ou de prothèse dans le secteur antérieur. C’est aussi, et encore davantage le cas, pour les traitements des dyschromies dentaires très nombreuses liées aux hypominéralisations (fluoroses, MIH, traumas…etc) (4) . Je pense qu’une des raisons du faible nombre d’éclaircisse