Accéder au contenu principal

Simplification de la technique d'érosion/infiltration pour le traitement des taches de l'émail

Message n°24:

                    
En Août 2015, alors qu’on avait déjà avec mon ami le Dr Gil Tirlet plus de 5 ans d’expérience sur la technique d'érosion/infiltration, je proposais (lire message n°20 de ce blog) un algorithme de traitement des taches de l’émail qui illustrait le protocole détaillé du traitement de ces taches quelque soit leur étiologie (1). Cet algorithme remplaçait avantageusement les instructions du fabricant inadaptées.

Quatre années plus tard, il m’a semblé nécessaire de faire un point sur ce sujet, en proposant 2 simplifications de la procédure et quelques modification à l'algorithme.

1)    La simplification liée à l’utilisation du bistouri
Pour infiltrer les taches, blanches ou colorées, il faut, bien sur, au moins avoir atteint la lésion hypominéralisée qui le plus souvent est profonde (exemple : dans le cas des MIH). Jusqu’à présent on réalisait des cycles HCl/Alcool/Sablage ou fraisage jusqu’à obtenir une modification optique de la tache avec l’alcool.  Cette modification optique voulait dire a) qu’on était dans la tache b) que l’infiltration de la résine sera efficace.
Le bistouri va nous aider à savoir si on est dans la lésion tout en gagnant du temps en diminuant considérablement le nombre de cycles d'HCl (2 min)/alcool (30 sec) très consommateurs de temps.
En effet, lorsqu’on « gratte » l’émail sain à l’aide d’un bistouri, il ne se passe rien, le bistouri glisse sur la surface dentaire. En revanche lorsqu’on "gratte" avec un bistouri l’émail hypominéralisé, des copeaux apparaissent (figure 1) car cet émail est mécaniquement plus fragile et friable 
(2).
Figure 1 : des copeaux d'émail hypominéralisé se détachent facilement par simple grattage à l'aide d'un bistouri à partir du moment où on a atteint la lésion.

On continuera donc à sabler ou à fraiser spécifiquement les zones qui ne donnent pas de copeaux au grattage. Il n’y a aucun intérêt, en fait c’est une perte de temps, à appliquer l’acide chlorhydrique avant d’avoir obtenu ces copeaux sur l’ensemble de la lésion. En effet la dissolution de l’émail sain, même avec de l’acide chlorhydrique concentré (15%), est trop lente, un sablage ou un fraisage est plus rapide. On n’utilise donc plus l’acide pour atteindre la lésion (voir point n°2). Le plus souvent, nous atteignons assez vite la lésion au centre de la tache et c’est en périphérie que que les cycles bistouri/sablage ou fraisage se continueront.Notons qu’on peut aussi utiliser la lame du bistouri au niveau du plafond de la lésion sous le feuillet d’émail sain (entouré) et le faire sauter, un peu comme on ferait sauter un plafond de chambre pulpaire lorsqu’on a trouvé une corne (Figure 2).


Figure 2 : le bistouri permet de passer sous le feuillet d'émail sain que nous devons éliminer afin d'infiltrer la lésion sous jacente.

      Au total, le bistouri nous permet de savoir si, sur toute la surface blanche ou colorée que nous traitons,  nous sommes bien dans la lésion hypominéralisée…
Attention, c’est une condition nécessaire pour l'infiltration de résine (impossible d’imaginer infiltrer une lésion hypominéralisée si on ne l’a pas atteinte) mais pas suffisante. En effet, cela ne nous permet pas de savoir si l’infiltration de la résine sera efficace. Ce sont les cycles HCl/alcool qui nous donneront cette information. 


2) La simplification liée à l’utilisation de l’acide chlorhydrique
Il faut rappeler que dans le protocole initial de l’érosion/infiltration, à l’époque où l’infiltration en profondeur n’existait pas (avant 2012), on ne traitait que les lésions superficielles (carie débutante, fluorose légère, trauma superficiel)(3)(4). Ces lésions présentaient en surface une couche hyperminéralisée. L’acide servait à éliminer la couche hyperminéralisée pour atteindre la lésion (5). Deux minutes étaient donc nécessaires.
 Mais avec l’évolution de la technique et l’apparition de l’infiltration en profondeur (6)(7)(8), le rôle de l’acide a changé… En profondeur, l’acide ne sert plus à atteindre la lésion (c’est le sablage/fraisage qui le permet) ; il sert à éliminer les débris du fraisage et du sablage et à déminéraliser superficiellement la lésion hypominéralisée pour engendrer une pression capillaire liée aux prismes déminéralisés, capable d'optimiser l'infiltration de la résine. Des cycles de 5 à 10 secondes sont donc largement suffisants, et ce, sans frottement; ce qui procure un gain de temps notable par rapport aux deux minutes systématiques que l’on appliquait encore récemment  !Certains praticiens me demandent même si on peut-on éviter de passer l’acide du coup. 
Non, évidemment, car seul l’acide permettra de générer une pression capillaire permettant une excellente infiltration de la résine. En effet les débris de fraisage/sablage vont empêcher la pénétration de l’alcool et de la  résine. 
Il faut donc bien passer l’acide avant chaque essai alcoolique.La bonne question est de savoir si, en profondeur, l’acide chlorhydrique est le bon acide. Il est probable que l’acide phosphorique puisse jouer le même rôle avec une moindre agression des prismes d’émail (9).
Il arrivera parfois à ce stade qu’on reprenne un ou 2 cycles de sablage/fraisage en fonction des indications de l’alcool, ou en fonction de la coloration de la lésion en profondeur.

Synthèse : Ainsi , si le bistouri est un indicateur de fraisage ou de sablage, l’alcool reste un indicateur d’infiltration. La durée de l’application de l’acide chlorhydrique peut être réduite à 5/10 secondes. On peut proposer un protocole très simplifié de la technique d’érosion infiltration :
 
-   Cycles de fraisage/sablage tant que le bistouri ne donne pas de copeaux,
- Cycles HCl 5-10 sec/alcool et éventuellement  sablage sélectif jusqu’à l’obtention de modifications optiques de la lésion,
-  Première infiltration de résine, photopolymérisation puis deuxième infiltration de résine suivie d’une deuxième photopolymérisation,
-  Mise en place du composite en se servant de la résine d’infiltration comme d’un adhésif.

Notons qu’à la périphérie du composite, ce dernier collera sur une surface d’émail qui aura été déminéralisée par de l’acide chlorhydrique. C’est un point sur lequel je reviendrai dans un futur message. 

Bien sur, nous avons l’intention de réaliser une série d’expérimentations in vitro pour valider toutes ces nouvelles procédures. Mais la collecte des dents hypominéralisées est particulièrement difficile, et cela demande du temps. Alors en attendant ces nouvelles données expérimentales, il me semble que les informations cliniques (logiques) de ce message, et que nous utilisons avec succès depuis 3 ans, peuvent être utilisés par les praticiens. 

L’algorithme suivant (Figure 3) intègre ces nouvelles avancées de procédures de la technique. Il se passe de commentaires mais un prochain article dans la revue BMC le détaillera.


Figure 3 : algorithme de traitement de la technique d'érosion/infiltration permettant de traiter toutes les lésions de l'émail. Cet algorithme intègre les 2 simplifications de ce message.

Voici le résultat d'un cas traité avec cet algorithme (Figure 4).
Figure 4 : Traitement de lésions hypominéralisées liées à une MIH par érosion/infiltration en profondeur, après éclaircissement. Le nouvel algorithme a été utilisé.

Excellentes futures infiltrations !!!


1.                 Attal JP, Tirlet G. Traitement ultra-conservateur des taches de l’émail : bilan avec 5 ans de recul. Rev Odonto Stomatol. 2016;1:1–4.
2.                Fagrell TG, Dietz W, Jälevik B, Norén JG. Chemical, mechanical and morphological properties of hypomineralized enamel of permanent first molars. Acta Odontol Scand. 2010 Jul;68(4):215–22. 
3.                Tirlet G, Chabouis HF, Attal J-P. Infiltration, a new therapy for masking enamel white spots: a 19-month follow-up case series. Eur J Esthet Dent Off J Eur Acad Esthet Dent. 2013;8(2):180–90. 
4.                Tirlet G, Attal J-P. L’érosion/Infiltration: une nouvelle thérapeutique pour masquer les taches blanches. Inf Dent. 2011;(4):2–7. 
5.                Paris S, Dörfer CE, Meyer-Lueckel H. Surface conditioning of natural enamel caries lesions in deciduous teeth in preparation for resin infiltration. J Dent. 2010 Jan;38(1):65–71. 
6.                Attal J-P, Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G. L’infiltration en profondeur : un nouveau concept pour le masquage des taches blanches de l’émail. Partie 1. Inf Dent. 2013;(19):74–9.
7.                Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G, Attal J-P. Nouveau concept pour le masquage des taches de l’émail. L’infiltration en profondeur Partie 2. Traitement d’une fluorose sévère. Information Dentaire. 2014;1–6. 
8.                Attal J-P, Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G. Nouveau concept pour le traitement des taches blanches. L’infiltration en profondeur. Partie 3. Traitement d’une MIH sévère. Information Dentaire. 2014; 
9.                Yim H-K, Kwon H-K, Kim B-I. Modification of surface pre-treatment for resin infiltration to mask natural white spot lesions. J Dent. 2014 May;42(5):588–94. 

Posts les plus consultés de ce blog

 Comment coller efficacement   sur les dents atteintes de MIH ? Message n°22 : La prévalence des MIH (hypominéralisation Molaire Incisive) est très forte, et ce, partout dans le monde. Une récente revue systématique et méta-analyse sur 99 études incluant plus de 100 000 participants sur 43 pays différents donne une valeur moyenne de 13% (1)  ! Une étude similaire, l’an dernier, donnait, sur 70 études, une prévalence de 14% (2) . Les conséquences de ces MIH sur les tissus dentaires (3) et sur la qualité de vie des patients (4) sont connues. Le praticien doit donc connaître les différentes modalités de traitement possible (5) . Parmi celles-ci, le collage aux tissus atteints pour protéger, améliorer l’esthétique ou restaurer, est souvent incontournable.   Mais le collage sur ces tissus est reconnu comme étant moins performant (6) . Nous attendions un article de référence sur le collage aux tissus hypominéralisés dans le cas des dents atteintes de MIH. Il vient d’êtr

Message n°21 : Une proposition pour éviter les sensibilités pendant l'éclaircissement dentaire

Eclaircissement dentaire : Proposition pour un temps personnalisé de port des gouttières Je suis surpris que les praticiens français réalisent si peu d’éclaircissements dentaires sur leurs patients. Pourtant la technique d’éclaircissement ambulatoire avec port nocturne des gouttières proposée par Haywood (1) est très largement documentée et reconnue par la communauté internationale comme étant fiable et sécure (2) . Il y a bien entendu la demande forte et bien documentée de nos patients pour les « dents plus blanches » (3) qui justifierait à elle seule de nombreux traitements. Mais sur un plan plus médical, il est difficile de se passer d’éclaircissement avant la réalisation de soins conservateurs ou de prothèse dans le secteur antérieur. C’est aussi, et encore davantage le cas, pour les traitements des dyschromies dentaires très nombreuses liées aux hypominéralisations (fluoroses, MIH, traumas…etc) (4) . Je pense qu’une des raisons du faible nombre d’éclaircisse